Les trois quarts des médicaments restent prescrits en nom de marque

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Depuis le 1er janvier 2015, les praticiens français généralistes ou spécialistes sont supposés rédiger les ordonnances nécessaires au remboursement des médicaments en utilisant non plus leurs noms de marque, mais leurs principes actifs sur la base de la « dénomination commune internationale » (DCI). Cette précaution, qui vise notamment à éviter tout risque de surdosage ou de mauvais mélange, semble être passée inaperçue pour bon nombre de patients, mais aussi chez une majorité de professionnels de santé.

En effet, si l'on en croit une enquête publiée le 19 janvier 2016 par l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, près des trois quarts des ordonnances ne respecteraient toujours pas ce nouveau formalisme. Cette situation conduit d'ailleurs l'association à proposer un panel de mesures assez coercitives à l'encontre des médecins traitants ou des spécialistes, qui ne manqueront pas d'apprécier.

Une enquête accablante menée par UFC-Que Choisir

Grâce à l'appui de ses antennes locales, l'association de consommateurs UFC-Que Choisir a pu rassembler, anonymiser et examiner 815 ordonnances dans 72 départements français, toutes rédigées entre le 20 mai et le 29 juin 2015. Ces actes médicaux, qui prescrivent un total de 2 729 médicaments, montrent à quel point le respect de la DCI reste à géométrie variable dans le paysage médical français.

Seuls 13 % des médicaments prescrits respectaient une inscription conforme à la dénomination commune internationale. Il s'agit donc d'une très nette minorité, à laquelle il convient toutefois d'ajouter 14 % d'autres médicaments prescrits à la fois avec un nom de marque et leur appellation DCI, un double emploi prévu et toléré par la loi. 73 % des médicaments restent donc identifiés uniquement par un nom de marque, ce qui rentre en contradiction directe avec les nouvelles obligations légales. Dans le détail, l'association de consommateurs tire en particulier la sonnette d'alarme en ce qui concerne les médecins spécialistes, qui continuent à employer des noms de marque pour pas moins de 85 % de leurs médicaments prescrits ! Les médecins généralistes affichent quant à eux un résultat qui, sans être mirobolant, est néanmoins meilleur : seuls 70 % des médicaments qu'ils prescrivent ne respectent pas l'appellation DCI.

Pour UFC-Que Choisir, qui a fait de ce dossier un cheval de bataille depuis plus de dix ans maintenant, le bilan est donc catastrophique. Au point que l'association n'hésite pas se lancer dans les jeux de mots et à faire de la DCI un « Déni Caractérisé de l'Intérêt » des patients !

La DCI : un impératif de santé publique ?

L'application de la dénomination commune internationale dans les ordonnances est un vieux serpent de mer. La généralisation de ce principe a été prévue dès la loi dite « loi Bertrand » sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé du 29 décembre 2011. Il faut cependant attendre un décret d'application du 14 novembre 2014 pour que cette orientation devienne une véritable obligation légale, en vigueur depuis le 1er janvier 2015.

La France apparaît particulièrement en retard concernant le respect de la DCI. Dès 2007, alors que les médecins de l'Hexagone n'étaient encore que 12 % à appliquer ce principe de leur propre initiative, des pays comme l'Allemagne et le Royaume-Uni affichaient respectivement un taux de conformité des ordonnances de 35 % et 81 %.

Au-delà des seules associations de consommateurs, d'autres institutions de référence comme la Mutualité Française défendent l'application systématique de la DCI. La raison en est simple. Mise à jour et gérée par l'OMS, cette nomenclature est compréhensible dans tous les pays et se base uniquement sur les molécules et les principes actifs, communs par exemple à la fois à un médicament générique et son remède originel. Soit, par exemple, le paracétamol pour du Doliprane et l'Efferalgan, ou l'ibuprofène pour le Nureflex ou le Nurofen. Cette méthode permet non seulement de neutraliser le marketing des différents laboratoires, mais aussi de limiter les risques d'une iatrogénie médicamenteuse, c'est-à-dire le surdosage d'une même molécule présente dans différents médicaments. Autant de raisons qui incitent UFC-Que Choisir à voir dans la DCI une véritable « nécessité de santé publique ».

Les recommandations de l'association

UFC-Que Choisir ne s'étonne qu'à moitié du faible respect de la DCI en 2015. La loi ne prévoit en effet ni moyen de contrôle ni éventuelles sanctions contre les médecins récalcitrants. L'association, de ce fait, presse les pouvoirs publics d'agir et n'hésite pas à soumettre des propositions relativement radicales.

Plus spécifiquement, elle demande notamment à ce que le respect des prescriptions en DCI devienne l'un des critères de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) des médecins. Pour rappel, ce mécanisme de rémunération incitative vise à récompenser les médecins soucieux de l'application des politiques publiques de santé. Les médecins ne manqueront pas d'argumenter que la ROSP est déjà d'une grande complexité en l'état actuel. Celle des médecins généralistes, par exemple, compte 29 indicateurs différents rassemblant pas moins de 1 300 critères !

Au-delà du volet incitatif, UFC-Que Choisir estime nécessaire de mener une politique de contrôle pour détecter les médecins les plus réticents à respecter la DCI. Sans aller jusqu'à une sanction, l'association parle pour l'instant uniquement de « rappeler instamment cette obligation légale » aux intéressés. La proposition risque néanmoins d'être mal reçue par le corps médical, qui s'estime déjà très malmené par la récente loi Santé.