Abus de droit et assurance-vie
Ouvrir un contrat sur son lit de mort et y transférer la quasi-totalité de son patrimoine, transférer des sommes acquises en commun à la veille d'un divorce, garnir un contrat et désigner un bénéficiaire dans le seul but de déshériter un enfant… L'abus de droit revêt de multiples formes, mais peut être combattu devant les tribunaux par ceux qui s'en estiment victimes, qu'il s'agisse d'un héritier, d'un créancier, d'un ex-conjoint ou même… du Trésor public lui-même !
? Lorsque les héritiers ou créanciers s'estiment lésés
L'assurance-vie : un cadre fiscal conçu pour échapper aux droits de succession…
C'est le principal attrait de l'assurance-vie, et le plus connu : au décès de l'assuré, le capital accumulé sur le contrat ne fait pas partie de la succession, et n'est donc pas intégré à l'actif successoral. L'article L132-13 du Code des assurances est très clair à ce sujet, et dispose notamment que le capital est transmis directement à la personne mentionnée dans la clause bénéficiaire, sans être « soumis aux règles du rapport à succession ».
Cette caractéristique fait donc de l'assurance-vie le support fiscal rêvé pour transmettre, à la personne de votre choix, une importante somme d'argent qui sera entièrement exonérée de toute imposition jusqu'à 152 500 € par bénéficiaire (avec imposition forfaitaire au-delà).
…mais pas pour déshériter de façon détournée !
Les règles relatives à la succession du défunt sont précises : ce dernier peut certes, par testament, répartir à sa guise une certaine partie de ses biens, mais il est contraint d'en laisser une proportion minimale, appelée la « réserve », à ses héritiers directs (le plus souvent l'ex-conjoint et les enfants).
Lorsqu'il existe un contrat d'assurance-vie, et comme indiqué plus haut, le montant du contrat n'est pas inclus dans la succession, ce qui fait que la part du patrimoine dévolue à chaque héritier « réservataire » va diminuer mécaniquement : l'existence de cette assurance-vie leur cause un préjudice direct. Rien de répréhensible à cela en principe, d'autant que la loi précise bien que l'assurance-vie est réputée ne pas porter « atteinte à la réserve des héritiers du contractant » (article L132-13 du Code des assurances).
Pour autant, l'assuré ne peut pas faire n'importe quoi, et n'a notamment pas le droit de transférer une partie disproportionnée de son patrimoine sur ce contrat d'assurance-vie, dans le but manifeste de déshériter ses héritiers réservataires. C'est la notion de « primes manifestement exagérées », qui n'exclut pas celle d'« absence d'aléas » qui rentre alors en jeu.
Comment contester des primes manifestement exagérées ?
Un héritier qui, dans ces conditions, s'estime lésé par l'existence d'un important contrat d'assurance-vie peut saisir le tribunal de grande instance. À noter que cette possibilité est également ouverte à un éventuel créancier du défunt, si ce contrat l'empêche de récupérer la totalité de ses créances dans le cadre de la succession. Dans tous les cas, il appartient au demandeur (héritier ou créancier) de prouver le caractère disproportionné des primes versées à ce contrat d'assurance-vie au regard du patrimoine et des ressources du défunt. Le juge apprécie ensuite, en toute souveraineté, la légitimité de cette requête, et a le pouvoir, en guise de sanction, de réintégrer le capital de l'assurance-vie dans la succession.
Concrètement, les réclamations de ce type sont très rares : encore faut-il, en effet, que les héritiers soient informés de l'existence du contrat d'assurance-vie et de son montant. Ce qui est loin d'être toujours le cas, notamment si la mésentente règne dans la famille !
Si vous tenez à éviter un tel conflit après votre décès, il vous suffit de respecter quelques règles simples : effectuez des versements réguliers et d'un montant raisonnable, et ne concentrez pas tout votre patrimoine sur ce seul contrat. Une autre solution, imparable, consiste à désigner en tant que bénéficiaires du contrat d'assurance-vie les héritiers réservataires eux-mêmes, selon les mêmes proportions que celles que leur accorde le droit des successions : le montage, ainsi, est neutre de leur point de vue, avec cet avantage qu'il permet d'amoindrir la fiscalité applicable !
Quelle que soit la qualité du créancier en question, si la preuve est apportée d'une organisation frauduleuse d'insolvabilité - comprenez ici le détournement du caractère insaisissable d'une assurance-vie dans le seul but d'échapper à ses créanciers, le contrat d'assurance-vie pourra être cassé par un juge.
?♂️ Lorsque le conjoint séparé s'estime lésé
Couples mariés : maniez l'assurance-vie avec précaution
Une assurance-vie peut être co-souscrite. Dans la plupart des cas, les assureurs n'acceptent une coadhésion qu'en faveur des couples mariés sous le régime de la communauté. Toutefois, dans les faits, l'adhésion à un contrat est le plus souvent unipersonnelle : en l'absence de contrat de mariage (régime de la communauté réduite aux acquêts), le conjoint dont la tête est couverte par le contrat ne doit pas en déduire que les fonds s'y trouvant sont automatiquement des biens propres. En effet, si le contrat a été alimenté par des fonds communs et si le conjoint s'estimant lésé est en mesure d'en apporter la preuve, ces sommes versées sont susceptibles de réintégrer la communauté en cas de litige.
Au risque de s'exposer à un risque de divorce litigieux
Dans le détail, si les deux conjoints étaient mariés sous le régime de la communauté, la partie du capital de l'assurance-vie acquise pendant la durée du mariage sera nécessairement divisée en deux, sans recours possible. La seule exception concerne les sommes issues de la vente de biens propres (acquis avant le mariage), d'un héritage ou encore d'une donation.
À noter que, quand bien même Monsieur, marié à Madame sous le régime de la communauté, aurait approvisionné un contrat souscrit en nom propre par le biais de son propre salaire, les revenus du couple étant censés être communs, le capital épargné appartient pour moitié à Madame. D'une manière générale, la souscription de deux contrats d'assurance-vie séparés dès le début du mariage, bien qu'un peu artificielle, évite les désagréments en cas de rupture. Veillez alors à réaliser un effort d'épargne égalitaire sur chacun de ces deux contrats (fréquence et montant similaires).
Lorsque c'est le régime de la séparation de biens qui s'applique, le contrat d'assurance-vie est certes réputé appartenir exclusivement à son souscripteur… sauf si l'ex-conjoint apporte la preuve qu'il a été effectué des versements à partir de sommes appartenant à la communauté, auquel cas il serait fondé à réclamer leur restitution devant le juge aux affaires familiales. En vue de prévenir tout litige, le conjoint détenteur du contrat sera avisé d'approvisionner ce dernier par le biais de fonds propre, idéalement un compte bancaire personnel, le compte joint étant le plus souvent déconseillé. En cas d'utilisation de biens propres en vue d'alimenter le contrat d'assurance-vie (héritage, donation, vente...), pensez à demander une attestation d'emploi et ou de remploi de biens propres auprès d'un notaire.
Les conséquences d'un divorce ou d'une séparation sur vos comptes et crédits bancaires
? Lorsque le Trésor public s'estime lésé
Suroptimisation fiscale de la succession : un risque bien réel !
Une citation clairvoyante attribuée à Benjamin Franklin veut que « les deux seules certitudes, dans la vie, sont la mort et les impôts ». Lorsque le défunt s'est montré un peu trop astucieux pour faire échapper sa succession aux griffes du Trésor public, au point de détourner complètement l'esprit de l'assurance-vie, l'administration fiscale dispose de moyens de recours très coercitifs. En effet, et de la même manière qu'un héritier peut contester un contrat d'assurance-vie qui réduirait excessivement sa part d'héritage, le Trésor public peut, en cas de suroptimisation fiscale grossière, s'affranchir du caractère insaisissable de l'assurance-vie et réclamer les droits de succession qu'il estime lui être dus.
Si le contrat d'assurance-vie, en particulier, a été souscrit en urgence et dans le seul et unique but que son bénéficiaire échappe à l'impôt, le fisc se réserve le droit de requalifier ce contrat en « donation indirecte » (ou déguisée). Cette mesure a pour effet de réintégrer le capital du contrat dans la succession, et donc de le soumettre à l'impôt.
Absence d'aléa, volonté de se dépouiller… les indices qui guident le fisc
Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 26 octobre 2010, précise les critères qui peuvent être légitimement retenus par le fisc comme un faisceau d'indices tendant à démontrer une suroptimisation fiscale. Le cas examiné était celui d'un malade du cancer en phase terminale, qui avait transféré massivement son patrimoine vers un nouveau contrat d'assurance-vie à peine trois jours avant son décès.
L'abus, selon la cour, est avéré dès lors que le contrat d'assurance-vie se caractérise par une « absence d'aléa ». Comme tout produit commercialisé par les assureurs, en effet, l'assurance-vie doit comporter, au moment de sa souscription, une part d'aléatoire : l'assuré peut mourir le lendemain, dans dix ans ou dans trente ans ; il peut aussi décider de racheter, ou non, une partie de son contrat, minorant ainsi la part qui reviendra au bénéficiaire. Lorsque le contrat est ouvert par l'assuré sur son lit de mort, bien au contraire, tout aléa est absent : un tel acte révèle « la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable », et d'utiliser l'assurance-vie comme un simple passe-droit fiscal.
Rassurez-vous cependant, car ces cas restent extrêmes et peu répandus. Si vous vous montrez prévoyant pour votre succession et effectuez des versements réguliers sur plusieurs années, vous pourrez transmettre en franchise d'impôt des sommes même très importantes, sans que l'administration fiscale trouve quoi que ce soit à redire !
Notre conseil malin :
Avant de vous engager, pensez à comparer les contrats via notre comparatif des assurances-vie !