Le chantier gouvernemental de la mutuelle obligatoire patine

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Cela n'aura pas échappé aux oreilles attentives. François Hollande, à la suite du revers électoral enregistré par la majorité ce dimanche, a chargé Manuel Valls de former un nouveau gouvernement. Parmi les objectifs que lui assigne le chef de l'État, l'accent est porté quant à la mise en œuvre d'un pacte de solidarité dont l'un des piliers est « la Sécurité sociale avec priorité donnée à la santé ».

Dans le détail, quatre principales « urgences sanitaires » attendent au tournant le nouvel hôte de Matignon. La mise en place de la future loi de santé publique, l'extension par étapes du tiers payant, les chantiers sociétaux liés à la fin de vie et à la dépendance, ainsi que la généralisation de la complémentaire santé à l'ensemble des salariés, dite « mutuelle obligatoire ». Attardons-nous sur ce quatrième et dernier volet, lequel tend à achopper sur une série de difficultés.

« La complémentaire santé pour tous » : un ambitieux chantier

En clôture du 40ème Congrès de la Mutualité française s'étant tenu à Nice du 18 au 20 octobre 2012, le chef de l'État avait fait connaître son intention de « généraliser à l'horizon de 2017 l'accès à la couverture complémentaire [santé] » à l'adresse de l'ensemble des salariés. En réponse à cette volonté politique forte, le Parlement avait adopté en juin 2013 une loi relative à la sécurisation de l'emploi. Parmi les principales dispositions prévues au sein de ce texte figure ainsi ladite généralisation de la couverture complémentaire, laquelle vise à assurer à tous les salariés qui n'en bénéficieraient pas déjà, l'accès à une couverture collective obligatoire des frais de santé. 

En complément de cet addendum au Code de la Sécurité sociale, l'on apprenait qu'un décret ministériel à venir viserait à parachever l'ensemble, en précisant notamment les modalités pratiques de cette réforme emblématique. D'ores et déjà, deux pistes clés ont été avancées par l'exécutif. La première, touchant à la méthode, visait à ouvrir des négociation au niveau des branches professionnelles concernées afin de définir le contenu, les niveaux des garanties applicables... La seconde consacre la répartition des cotisations : la copie du gouvernement prévoyait en l'état de faire reposer le coût de cette réforme à parts égales entre employeurs et salariés.

Plus d'un Français sur deux ignore jusqu'à l'existence même de cette réforme

Mauvaise communication de la part du gouvernement ? Absence ou insuffisance de « publicité » entourant la mise en œuvre prochaine de cet emblématique chantier ? Quelles qu'en soient les causes, l'on touche ici au premier écueil sur lequel vient achopper ce projet de loi. Selon le 10ème Baromètre de la Prévoyance réalisé par le CRÉDOC pour le CTIP, plus d'un Français sur deux (57 %) ignore qu'il sera obligé de souscrire une assurance santé via son entreprise avant le 1er janvier 2016.

Et les résultats ne sont pas forcément meilleurs du côté des entreprises. Près de 30 % d'entre elles affirment ne pas avoir été informées de l'obligation qui leur est désormais faite de couvrir leurs salariés. En écho à ces chiffres pour le moins surprenants, Jean-Louis Faure, délégué général du CTIP plaide en faveur de davantage de communication sur le sujet. « Ces résultats sont préoccupants. Ils montrent que l'année 2014 doit être consacrée à de la pédagogie sur ce sujet ». Au-delà, cette méconnaissance profonde de ce qui constitue pourtant une petite révolution du paysage de la mutuelle d'entreprise biaise pour partie les dividendes espérées de cette réforme. En effet, si l'amélioration de l'accès aux soins des Français relève d'une priorité du gouvernement, encore faudrait-il que ces-derniers aient conscience de ce que peut leur apporter cette évolution de la loi.

La cristallisation des mécontentements risque d'entraîner un report des échéances

Autre écueil en vue pour le gouvernement : la généralisation de la complémentaire santé suscite la défiance du patronat. Selon des informations avancées par l'Argus de l'assurance, le Medef aurait demandé, à l'occasion d'une récente rencontre d'avec la direction de la Sécurité sociale, ni plus ni moins qu'un report des échéances de la réforme en question. Dans les faits, l'organisation patronale aurait plaidé en faveur d'une rallonge des négociations des branches professionnelles, prorogées de six mois supplémentaires. Mais ce changement de calendrier entraînerait de facto une modification de la loi sur la sécurisation de l'emploi. Les négociations, initialement prévues pour se conclure avant la fin juin, seraient repoussées à la fin de l'année ; décalage entraînant à son tour un report similaire de la phase de négociation au sein des entreprises, laquelle devait se tenir du 1er juillet 2014 au 31 décembre 2015.

Le patronat ne fait pour autant pas cavalier seul dans sa volonté de report de l'application de la loi. Les branches professionnelles ont également fait part de leur scepticisme quant à un calendrier « intenable et irréaliste », notamment eu égard au retard enregistré par les décrets leur précisant les exigences de solidarité pour chaque régime, la procédure de mise en concurrence des organismes assureurs... La pression se fait d'ailleurs d'autant plus forte pour le gouvernement que ce-dernier a démultiplié l'ouverture de chantiers de santé conséquents et concomitants : réforme des contrats santé dits « responsables », projets de décrets visant à encadrer les dépassements d'honoraires et les garanties optiques...

Alors que l'on apprend à l'instant que Marisol Touraine vient d'être confirmée dans ses fonctions de ministre des Affaires sociales, le calendrier de cette réforme symbolique devrait rapidement se préciser. Si le report des échéances initiales est finalement acté, ce-dernier suppose une modification toute aussi diligente de la loi de sécurisation de l'emploi. Et autant de retard à porter au crédit d'une réforme, certes emblématique du quinquennat, mais dont le gouvernement accouchera très certainement dans la douleur...

NDLR : suite à l'annonce réalisée en fin de matinée par Pierre-René Lemas – secrétaire général de l'Élysée – quant à la composition du gouvernement Valls, il est à noter que Mme Touraine demeure « ministre des Affaires sociales », sans autre précision faite à ce sujet. Le nom ainsi que le périmètre des secrétaires d'État ne seront rendus publics qu'en semaine prochaine. La Santé devrait en toute logique revenir à la charge d'un(e) ministre délégué(e).