Précarité : ces Français qui renoncent aux soins

Mis à jour le
minutes de lecture

Pour la première fois de sa longue histoire, la Croix-Rouge française prend aujourd'hui l'initiative de rédiger et publier un rapport public, dans la droite lignée d'autres ONG comme le Secours catholique ou encore la Fondation Abbé Pierre. L'étude, qui se veut un véritable « pacte pour la santé globale des plus vulnérables » a été remise aux pouvoirs publics le 26 mai dernier et entend dénoncer l'inadéquation du système de santé français face aux besoins des populations les plus vulnérables.

Par manque de moyens financiers, ou tout simplement découragés par la lourdeur de l'administration à laquelle ils sont confrontés, de nombreux particuliers renoncent en effet chaque année à se faire soigner. La situation n'est toutefois « pas une fatalité » à en croire le professeur Jean-Jacques Eledjam, président de la Croix-Rouge française, qui livre quelques recommandations pour l'avenir.

Vulnérabilité et maladie : deux phénomènes intimement liés

Un sondage OpinionWay récemment commandé par la Croix-Rouge, et repris par l'étude, démontre à quel point la vulnérabilité et la perte d'autonomie inquiètent une large part de la population, notamment en ce qui concerne les répercussions potentielles sur leur état de santé. Personne ou presque ne s'estime à l'abri, puisque 93 % des personnes interrogées redoutent qu'un coup dur (décès d'un proche, séparation, licenciement…) affecte négativement leur santé. Le même pourcentage, à l'inverse, estime qu'un retour à l'autonomie ne peut avoir lieu sans un bon état de santé. Plus des trois quarts des sondés (76 %) avouent enfin leur crainte de tomber un jour dans un état de vulnérabilité en raison d'une dégradation de leur état de santé.

Ces résultats ne font que confirmer, selon la Croix-Rouge, le lien fort existant entre mauvaise santé et vulnérabilité sociale, qui apparaissent comme deux facteurs s'alimentant mutuellement.

Un renoncement aux soins par faute d'argent…

Le système de soins français est-il suffisamment adapté aux besoins des personnes les plus fragiles ? L'étude de la Croix-Rouge pointe des insuffisances notoires, et notamment le phénomène du renoncement aux soins de certaines personnes pour des raisons financières. Parmi les allocataires du RSA, l'association relève ainsi que 18 % des personnes interrogées ont avoué avoir renoncé à une consultation médicale en 2015 (contre 4 % « seulement » pour l'ensemble des 18-59 ans). Ils étaient même 27 % à avoir fait le même sacrifice en matière de soins dentaires. Les statistiques, bien sûr, sont encore plus significatives si l'on cible uniquement le public fortement marginalisé fréquentant les Accueils santé social (AcSS) de la Croix-Rouge.

…ou par découragement face au système

À en croire l'étude de l'ONG, les problèmes d'argent restent pourtant secondaires et sont largement supplantés par les obstacles liés à la complexité du système de santé en lui-même. La Croix-Rouge décrit un ensemble « particulièrement bien structuré », au sein duquel « chaque dispositif correspond à un public défini, une action identifiée ». Or ce jardin à la française, organisé avec soin, cadre mal avec les « changements permanents » qui caractérisent typiquement les parcours de vie des plus vulnérables.

Résultat : de nombreux particuliers éprouvent parfois du mal à identifier l'interlocuteur le plus à même de résoudre leur problème. 53 % ont déjà renoncé à une aide par manque d'information, et 52 % s'y sont résignés en raison de la « lourdeur administrative » des démarches qui leur étaient imposées. S'y ajoutent un sentiment de dévalorisation liée à la demande d'aide (35 %) et la résistance passive de certains professionnels de santé (33 %).

Au-delà, toujours selon des chiffres avancés au sein du rapport, ce public vulnérable concentre à 90 % des individus qui n'ont pas de complémentaire santé. À ce sujet, l'association pointe du doigt certaines failles. C'est le cas par exemple de l'Aide à la Complémentaire Santé (ACS), laquelle permet d'accéder à une mutuelle à moindres frais, qui n'est utilisée en France que par un petit tiers de ses bénéficiaires potentiels. Mais un constat similaire peut également être dressé pour d'autres dispositifs d'aide, à l'instar de la Couverture Maladie Universelle Complémentaire (CMU-C).

La Croix Rouge renforce ses engagements…

L'ONG ne manque pas de dédier une part importante de son rapport à la présentation de ses propres actions et engagements, qu'elle annonce vouloir renouveler et approfondir dans les années à venir. Le dispositif de la « Croix Rouge sur roues » est particulièrement mis en valeur, et a permis au cours de l'année écoulée à 38 véhicules de l'association d'aller au devant de 36 000 particuliers parmi les plus vulnérables : une initiative conçue comme une réponse à la « raréfaction des services de proximité » et au « délitement des solidarités locales ».

Au-delà, la Croix-Rouge entend aussi se doter dès cette année d'un observatoire destiné à mieux suivre la situation des personnes auxquelles elle vient en aide. Des diagnostics seront par ailleurs réalisés régulièrement dans chaque région française pour permettre une analyse plus fine des phénomènes de vulnérabilité.

…et adresse des recommandations aux pouvoirs publics

Sans rentrer dans des mesures véritablement concrètes, le dernier rapport de la Croix-Rouge se contente de dresser des grandes pistes à l'attention des pouvoirs publics pour améliorer la qualité des dispositifs existants de lutte contre l'exclusion.

Le décloisonnement généralisé des actions et des systèmes apparaît comme la première des priorités aux yeux de l'ONG. Cette dernière estime également nécessaire de mettre davantage l'accent sur une « politique de l'aller vers », afin de réduire les risques d'isolement des « publics invisibles ». La valorisation du bénévolat, ainsi que celle des bonnes pratiques et innovations des associations au niveau local, pourraient également permettre de moderniser l'ensemble du système.