Le médicament : produit de santé ou bien de consommation ?

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Le décret portant suppression des vignettes indiquant le prix comme le taux de remboursement des médicaments a été publié au Journal Officiel samedi, et est entré en vigueur hier.

Disparition des vignettes : la fin d'une exception bien française

Le projet était connu et sa date d'exécution annoncée de longue date : depuis ce dimanche, les pharmacies ne mettront plus en vente de nouveaux lots de médicaments portant mention de leur habituelle vignette. Orange, bleue ou blanche, leur couleur était pourtant devenue bien familière auprès des patients. Ce code couleur permettait de connaître en un simple coup d'oeil le taux de remboursement des médicaments, en fonction de l'appréciation faite par les membres de la CTHAS de leur intérêt thérapeutique, dont l'indice de mesure retenu est le SMR.

« Les patients pourront désormais consulter en ligne la base de données gouvernementale du médicament ou encore via une application prévue pour smartphone ».

Le gouvernement a décidé l'abandon de cette fameuse vignette, en lieu et place d'une informatisation accrue du système de traçabilité de la vente des médicaments. Concrètement, « Datamatrix », du nom du nouveau code-identifiant visant à remplacer ce traditionnel code-barres, doit permettre de simplifier et d'améliorer la traçabilité de ces produits de santé. Ce code-barres, une fois scanné par le pharmacien, indiquera au patient le prix ainsi que le taux de remboursement relatifs à chaque médicament. Au-delà, ces mêmes informations apparaîtront également sur la facture imprimée par l'officine, au verso de l'ordonnance suite à la remise des médicaments. Bienvenue au « Ticket Vitale ».

C'est là la fin d'une singularité française vieille de plus de soixante ans, la vignette ne connaissant pas d'équivalent chez nos voisins européens. Le ministère de la Santé a tenu à rappeler sur ce point que la vignette est « source de complications administratives et techniques, et s'avère surtout superflue ». Si cette disparition ne devrait pas avoir de grandes incidences sur le portefeuille du patient, elle est toutefois susceptible de multiplier les risques que les pharmacies se retrouvent en rupture de stock. En effet, les baisses de prix étant répercutées bien plus rapidement qu'auparavant grâce à ce système entièrement informatisé, les pharmaciens auront mécaniquement intérêt à disposer d'un moindre stock.

La grogne des pharmaciens face à la déréglementation de la profession

Vieux serpent de mer qui s'invite régulièrement dans le débat public : la possibilité d'autoriser la mise en vente de médicaments disponibles sans ordonnance dans les grandes surfaces. Cette mesure avait récemment été remise à l'ordre du jour par le ministère de l'Économie, au sein de la réforme des professions dites « réglementées ». Ce projet de libéralisation des produits de santé, envisagé par Bercy, répond en écho au récent rapport publié par l'IGF, laquelle pointe la baisse des prix qu'une telle mesure pourrait entraîner, ainsi qu'un regain de pouvoir d'achat au bénéfice des Français. Même son de cloche de la part des grandes enseignes commerciales, telles les centres E. Leclerc, qui promettent des médicaments mis en vente 20 à 25 % moins chers.

« Le prix moyen d'un médicament libre en France (4,5 euros) serait moindre que celui constaté en Espagne (6 euros) ou encore aux Pays-Bas (5,2 euros), affirme la profession des pharmaciens ».

Bien évidemment, toute velléité gouvernementale s'exprimant dans ce sens provoque invariablement une levée de boucliers des pharmaciens, inquiets d'un projet assimilé à une attaque directe à l'encontre de leur monopole de vente. Pas plus tard qu'en fin de semaine dernière, Isabelle Adenot, la présidente de l'Ordre National des pharmaciens, s'est exprimée dans les colonnes du Parisien-AEF, prenant le contre-pied d'un rapport récent de l'IGF, qui selon elle, se résume à « une compilation d'âneries ». Contrairement à ce que laissent entendre les travaux de cet organisme public, le prix des médicaments aurait souvent baissé, en dépit de la hausse de la TVA, a-t-elle affirmé, jugeant « surévaluées » les économies à attendre de cette possible libéralisation.

Plus généralement, l'Ordre des pharmaciens attire l'attention du public sur deux contre-arguments, véritables marqueurs de sa contre-attaque lancée dans l'opinion. D'une part, la profession rappelle que la délivrance de médicaments n'est pas un acte anodin ; chaque année en effet, on déplore 12 000 décès et quelques 120 000 cas d'hospitalisations liés à une mauvaise prise de médicaments non soumis à prescription médicale. Le savoir-faire des pharmaciens devrait donc être encouragé par le gouvernement, ces derniers estimant qu'en grande surface, l'accompagnement des clients sera d'une qualité nécessairement moindre.

D'autre part, l'Ordre entend s'opposer à l'une des propositions de l'IGF, laquelle propose d'ouvrir le capital des officines aux investisseurs dans le but de créer des « chaînes de pharmacies » partout sur le territoire. Un tel projet impliquerait la mort des pharmacies de proximité, asphyxiées par des officines s'établissant dans « les endroits les plus rentables ». Ce projet, par la mise à mal qu'il provoquerait du maillage territorial en pharmacies, porterait en germe de sérieuses répercussions sur la santé des Français, avertit la profession, plus que jamais rétive à toute atteinte à son pré carré : la vente de médicaments, produits de santé et non simples biens de consommation.

L'expérimentation de la vente de médicaments à l'unité

Cette grogne des pharmaciens n'a pourtant pas entamé l'ambition du gouvernement d'abaisser le coût des dépenses publiques liées aux médicaments. À ce sujet, l'une des pistes récurrentes visant à redresser les comptes de l'Assurance Maladie revient à rationaliser la vente de ces derniers. L'idée, lancée par la ministre des Affaires sociales Marisol Touraine à l'occasion de la dernière présentation du budget de la Sécurité sociale, se veut simple : lutter contre le gâchis dans ce domaine, via la vente à l'unité de certains médicaments, notamment des antibiotiques.

Citant le cas de certains pays frontaliers, lesquels veillent à ce que soit délivré le nombre de pilules ou cachets dont les patients ont réellement besoin, Mme Touraine émettait alors de lourdes critiques contre cette tendance bien française à la surmédication, arguant que « chaque Français conserve en moyenne 1,5 kilo de médicaments non-utilisés chez lui […] et qu'on se retrouve dès lors avec des armoires à pharmacie pleines de médicaments que l'on ne consomme pas [ou alors] mal ».

« 48 : c'est en moyenne le nombre de boîtes de médicaments achetées chaque année par habitant, selon des chiffres avancés par le CGSP »

Toutefois, mesurant les critiques liées à la déréglementation de la profession voulue par Bercy, la ministre entend avancer avec prudence sur ce sujet, privilégiant l'expérimentation avant toute généralisation de la mesure. Cette mesure est ainsi circonscrite au champ des antibiotiques dits « critiques », dont l'efficacité doit être préservée. 

Ces antibiotiques représentent en effet près de 20 % des médicaments stockés au domicile des Français, selon la DGS. À portée de main des patients, l'automédication n'en serait que favorisée, avec le risque bien connu d'entraîner le développement de biorésistances en cas de mésusage.

Au-delà de s'attaquer à une cible de médicaments resserrée, les services de Mme Touraine ont fait savoir dans un premier temps que cette expérimentation de la vente à l'unité concernerait de 200 à 600 officines, toutes, sélectionnées sur la base du volontariat et rémunérées pour leur participation à ce programme-test. Cependant, face au faible engouement de la profession, ces objectifs ont récemment été revus à la baisse. Au final, le ministère planche désormais sur la participation de 100 pharmacies volontaires d'ici au 08 septembre, toutes comprises au sein de quatre régions seulement.

Ce faible engagement des pharmaciens va à contre-courant de l'avis d'une majorité de patients, lesquels, interrogés en octobre dernier via un sondage IFOP, étaient 83 % à estimer que la vente des médicaments à l'unité serait une mesure efficace pour lutter contre le gâchis quand 81 % d'entre eux pensaient que cela leur permettrait d'alléger leur budget santé, en ne payant que les médicaments dont ils auraient réellement besoin.