Vers une dépolitisation des tarifs régulés de l'électricité

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Les tractations sans fin dans les couloirs des ministères, avant chaque revalorisation des tarifs réglementés d'EDF, seront-elles bientôt de l'histoire ancienne ? Ce lundi 25 janvier 2016, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a fait connaître une évolution majeure qui devrait faire date dans la dépolitisation des enjeux du marché de l'énergie.

Alors qu'il détenait jusque là un simple pouvoir de proposition, le régulateur devrait fixer lui-même d'ici le mois de mai le prochain tarif bleu d'EDF supposé entrer en vigueur au 1er août. Il s'agit d'une bonne nouvelle pour EDF. Le fournisseur historique d'électricité a en effet souffert des atermoiements politiques de ces dernières années et a, plus que jamais, besoin d'une revalorisation importante et régulière de ses tarifs pour faire face aux investissements de la prochaine décennie.

La CRE fixera elle-même le prochain tarif bleu EDF

Jusqu'à aujourd'hui, la révision des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRV) obéissait à une procédure immuable. Après une consultation d'EDF et une évaluation des charges auxquelles l'opérateur doit faire face, la commission de régulation de l'énergie adressait une proposition au ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. Ce dernier fixait ensuite par arrêté le niveau d'augmentation retenu, qui pouvait être identique ou au contraire très éloigné de l'hypothèse de travail de la CRE.

À l'occasion d'une rencontre organisée ce lundi avec l'AJDE, le président de la CRE Philippe de Ladoucette a indiqué en substance que les rapports de force vont prochainement s'inverser. D'ici la fin du mois de mai au plus tard, la CRE se prononcera sur l'augmentation à appliquer au tarif bleu d'EDF pour le 1er août 2016. Sans réaction du gouvernement au bout de trois mois, la proposition sera automatiquement validée.

Le gouvernement garde certes la possibilité de former une opposition dans ce délai, mais il devra alors la motiver dans le détail. Très confiant, Philippe de Ladoucette sous-entend que cette faculté offerte à l'exécutif devrait rester lettre morte et qu'une opposition « n'aura pas lieu ». Les conséquences d'une telle situation sont par ailleurs encore très floues, et pourraient se traduire par un blocage du tarif réglementé jusqu'à résolution du litige.

Dépolitiser la fixation des tarifs

La formule de calcul des tarifs réglementés EDF a été régulièrement modifiée au fil du temps. Depuis la fin 2014, les TRV doivent tenir compte du coût d'acheminement de l'énergie (via les réseaux de transport haute tension de RTE et les lignes de distribution ERDF), du coût d'approvisionnement des fournisseurs (via notamment le mécanisme ARENH) et enfin du coût de commercialisation. Seul problème : malgré l'augmentation, depuis plusieurs années, des charges et des investissements programmés par EDF, le gouvernement s'est régulièrement montré réticent à suivre les propositions de la CRE et appliquer les hausses demandées. Il craignait un impact sévère sur le pouvoir d'achat des Français.

Cette ligne politique ne satisfait ni l'opérateur historique qui peine de plus en plus à supporter ses charges, ni les fournisseurs alternatifs réunis au sein de l'ANODE. Ces derniers dénoncent un tarif public sous-évalué par le gouvernement, qui constitue pour eux une concurrence déloyale et diminue artificiellement la compétitivité de leurs propres offres. Le summum de l'imbroglio a été atteint lorsque le Conseil d'État, saisi par l'ANODE, a donné raison aux fournisseurs alternatifs et a imposé à des millions de foyers une facturation rétroactive d'EDF pour leur consommation d'électricité en 2012 et 2013… L'augmentation des pouvoirs de la CRE, dans ce contexte, pourrait donc apporter une dépolitisation bienvenue à un dossier récurrent et très sensible.

Une décision qui sera lourde de conséquences pour EDF

Selon toute vraisemblance, la CRE devrait décider d'une augmentation assez substantielle du coût de l'électricité réglementée en 2016, ou d'une revalorisation plus modérée mais étalée au moins jusqu'en 2020. Jean-Bernard Lévy, P-DG d'EDF, avait d'ailleurs récemment plaidé pour des augmentations plus faibles mais plus fréquentes afin de lisser l'impact pour les consommateurs.

Il faut dire que les enjeux ne manquent pas pour l'opérateur historique qui pourrait avoir du mal à boucler son budget 2016. EDF doit tout d'abord trouver une source de financement pour rassembler les 2,5 milliards d'euros nécessaires au rachat de la filière réacteurs d'Areva. Le groupe doit également tenir compte des investissements prévisionnels destinés à maintenir à flot le parc des centrales nucléaires, soit un montant estimé de 55 milliards d'euros sur dix ans, ou encore le chantier de l'EPR au Royaume-Uni soit 16 milliards supplémentaires. L'avenir financier parait bien incertain pour le groupe qui cumule déjà un endettement d'environ 37 milliards d'euros…

EDF a d'ores et déjà engagé des mesures en interne : plus de 3 000 postes supprimés et dix milliards d'euros en cessions d'actifs dans les trois prochaines années, dont peut-être une partie de la filiale RTE. Au delà, le groupe estime nécessaire et incontournable une revalorisation du tarif bleu. Au cours du dernier comité central d'EDF, le 21 janvier, un document de travail tablait ainsi sur une augmentation moyenne de 2,5 % jusqu'en 2019. Reste à savoir si la CRE l'entendra de cette oreille !