Prix des médicaments : la campagne de Médecins du Monde censurée ?

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Saviez-vous que « chaque année en France, le cancer rapporte 2,4 milliards d'euros » ? Ou que dans l'absolu, « seul 1 % des Français peut se permettre d'avoir une hépatite C » ? Ces déclarations provocantes, ainsi que huit autres, sont tirées de la dernière campagne d'affichage de l' ONG Médecins du Monde, intitulée « Le Prix de la Vie ». L'opération a pour but de sensibiliser le public sur le prix jugé excessif ou même délirant de certains médicaments, du fait des marges injustifiées réclamées par certains laboratoires pharmaceutiques.

Peu de Français, au final, verront pourtant ces affiches incendiaires dans la mesure où la campagne a fait l'objet d'un avis très défavorable de la part du gendarme de la publicité : l'Autorité professionnelle de régulation de la publicité (ARPP), ce qui a conduit le diffuseur à se retirer du projet. Médecins du Monde dénonce une censure inacceptable.

Une campagne choc de Médecins du Monde…

Médecins du Monde ne supporte plus les tarifs exorbitants et parfois incompréhensibles de certains médicaments, et entend bien le faire savoir. Dès ce lundi 13 juin, une dizaine d'affiches « choc » auraient dû fleurir un peu partout dans le centre des grandes villes et dans les transports en commun, en vue de dénoncer une certaine forme d'abus de position dominante par les laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers profiteraient tout à la fois de la générosité de l'État-providence (donc de la collectivité), de la détresse des malades et d'une situation de quasi-monopole pour facturer des médicaments bien au-delà de leur coût de revient.

Campagne #LePrixdelaVie
Un exemple de slogan choc pour la campagne de l'ONG Médecins du Monde.

Les slogans ne ménagent pas les fabricants de médicaments et n'hésitent pas à souligner une certaine forme de cupidité exercée au détriment des malades. « Avec un milliard d'euros de bénéfice, l'hépatite C, on en vit très bien » s'exclame ainsi par exemple l'une des affiches en gros caractères bien lisibles sur fond orange. Une référence à peine voilée à certains cas jugés particulièrement scandaleux, et notamment à celui du Sovaldi, qui coûte pour chaque malade de l'hépatite la bagatelle de 41 000 €. Et ce, sans compter sur le fait que le remboursement de certains médicaments demeure – très – mal pris en charge par la Sécurité sociale !

…avortée suite à l'avis défavorable de l'ARPP

Les affiches offensives de l'ONG, finalement, ne verront pourtant pas la lumière du jour. Media Transports, le diffuseur publicitaire habituel de Médecins du Monde, a jeté l'éponge à la dernière minute et a annoncé ne plus prendre en charge cette campagne. En cause : un avis, pourtant strictement consultatif, rendu par l'Autorité professionnelle de régulation de la publicité (ARPP). L'autorité ne cache pas son extrême réserve à l'égard de la campagne envisagée de Médecins du Monde, et pointe entre autres des « allégations chiffrées non sourcées » ainsi que des références explicites à des maladies graves, « qui pourraient être perçues comme choquantes par le public ».

Toutefois, c'est le dernier argument qui retient le plus l'attention. L'ARPP s'inquiète ouvertement du « risque de réactions négatives (…) de la part des représentants de l'industrie pharmaceutique », avec la possibilité d'une action en justice de ces derniers s'ils estimaient avoir subi un préjudice.

Après avoir trouvé porte close auprès d'autres diffuseurs majeurs, comme JC Decaux ou Insert – visiblement déjà prévenus de la position de l'ARPP – Médecins du Monde s'estime victime d'une forme inacceptable de censure et a annoncé déposer rapidement une pétition auprès de la ministre de la Santé Marisol Touraine.

Prix des médicaments : la guerre des arguments fait rage

Les incidents entourant la dernière campagne de sensibilisation de Médecins du Monde ne devraient pas adoucir la polémique relative au prix de certains médicaments, génériques ou non. Confrontés depuis longtemps déjà aux accusations d'abus, les laboratoires pharmaceutiques ont coutume de mettre en avant le coût élevé de la recherche – avec de nombreux tests qui n'aboutissent que rarement à la commercialisation effective d'un nouveau médicament – mais aussi l'importance des coûts de production. Il leur arrive aussi de justifier le prix par la qualité, en mettant en avant la grande efficacité thérapeutique de leurs produits.

Ces différents arguments sont régulièrement contestés par Médecins du Monde, qui pointe au contraire un coût de revient parfois inférieur jusqu'à 400 fois au prix de vente (c'est le cas du Sofosbuvir, contre l'hépatite C), les contributions importantes en argent public pour soutenir l'effort de recherche ou encore l'efficacité parfois discutable de médicaments hors de prix.